Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
Les Boréades

2 DVD Opus Arte (2004)
OA 0899 D
à l'Opéra national de Paris, en 2003

Commande de l'Académie Royale de Musique achevée en 1763, Les Boréades est une tragédie en cinq actes, dont le livret est attribué à Louis de Cahusac. L'œuvre, en répétition au moment de la mort du compositeur (l'année suivante), fut finalement remplacée par un opéra de Benjamin de Laborde. On imagine qu'il était malvenu de présenter devant Louis XV un ouvrage au livret parsemé d'allusions à la franc-maçonnerie et d'idées prérévolutionnaires – comme cette reine qui refuse le mariage forcé et souhaite choisir librement son conjoint. C'est John Eliot Gardiner qui, suite à la redécouverte du manuscrit tombé dans l'oubli, dirige la toute première présentation en concert, à Londres en 1974, puis la première réalisation scénique, en 1982 au Festival d'Aix-en-Provence. La version présentée ici est celle donnée à l'Opéra national de Paris, en 2003.

Par tradition, Alphise doit épouser un Boréade. Parmi ces descendants de Borée, le Vent du Nord, Calisis et Borilée sont en lice et pressent la reine de choisir. Elle avoue à sa confidente Sémire son amour pour Abaris. De son côté, celui-ci se meurt d'amour pour Alphise ; il se confie au grand prêtre Adamas qui connaît la nature divine du jeune homme mais doit se taire. Les deux soupirants finissent par s'avouer leur amour mutuel et Cupidon apparaît, remettant à Alphise une flèche enchantée qui doit conjurer tous les malheurs. Alors qu'elle s'apprête à abdiquer pour pouvoir aimer Abaris, une tempête invoquée par les Boréades se déchaîne, au cours de laquelle Alphise est enlevée. D'abord accablé, Abaris part à la recherche de la prisonnière en calmant les vents furieux grâce à la flèche de Cupidon. Apollon apparaît enfin, révélant qu'Abaris est le fils qu'il eût avec une nymphe du sang de Borée. Rien ne s'oppose plus à un heureux dénouement.

Pas de déception majeure dans la distribution, sauf peut-être en ce qui concerne la diction. Barbara Bonney (Alphise) soigne ses vocalises, Stéphane Degout (Borilée) livre des graves bien amenés, Toby Spence (Calisis) est irréprochable ainsi que Jaël Azzaretti (une nymphe) et Nicolas Rivenq (Adamas / Apollon). La vedette du spectacle est incontestablement Paul Agnew (Abaris), ténor nuancé, aux aigus clairs et délicats, et qui colle au style déclamatoire de Rameau, sans se laisser entraîner vers un bel canto mal soutenu, à l'instar de sa collègue soprano.

Sans beaucoup d'accessoires (des parapluies, des chaises) mais avec des effets spéciaux ingénieux, Robert Carsen met en scène des entités abstraites ou divines liées au cycle des saisons. Champs de fleurs, neige ou brume envahissent tout le plateau, fascinant le spectateur par leur beauté plastique. Après le très beau générique qui accompagne l'ouverture, dommage qu'un travail filmique déplorable, notamment d'éclairage (passages trop sombres, lumière jaunâtre venant des projecteurs des coulisses, etc.), vienne donner à l'ensemble un côté amateur. Sans être perfectionniste, cela gâche notre plaisir et ne rend pas justice au spectacle que l'on a pu voir à sa création – en plus d'un problème de sous-titres incomplets : heureusement que le texte intégral est disponible en accompagnement !

Saluons enfin l'élégant William Christie qui, à la tête des Arts Florissants, rend accessible et simple une musique complexe, et le chorégraphe Edouard Lock. Grâce à lui et à la compagnie La La La Human Steps, c'est paradoxalement les passages de ballets – d'habitude une des plaies de ce genre d'ouvrage – qui éveillent notre curiosité. Exprimant la violence des sentiments sous un vernis de Cour, les danseurs aux gestes vifs et précis, usant de leurs bras peut-être plus que de leurs jambes, sauvent le spectacle d'un ennui vers lequel il ne cesse de tendre, de façon assez inexplicable. Qu'ils soient ici chaudement remerciés.

LB